Le RDV est pris à Chatelet, on se dirige dans un café dans le coin, nous tentons de trouver un endroit calme pour se poser et s’entretenir. La rencontre avec Al débute.
Dany : AL, peux tu te présenter :
AL : Moi c’est AL, je suis originaire de Dijon, j’ai grandis là bas, mon adolescence, le début de l’âge adulte, je suis à Paris depuis 200-2001, je suis un rappeur.
D : Et tes débuts : comment es tu arrivé dans le rap ?
A : Si vraiment on remonte à la nuit des temps, j’étais dans un groupe, à l’époque ou je dansais, quand j’étais plus jeune, avec des gens de Dijon, je me suis mis au rap d’abord pour m’essayer, par mimétisme, quand on s’aperçoit que les gens, t’encouragent cela t’incite à poursuivre l’expérience et j’ai commencé par faire des trucs avec Duke, j’avais posé un morceau sur une mixtape à lui, qui est arrivé entre les mains d’abord de Fabe puis de Cut Killer et le morceau “Les lions vivent dans la brousse” qui s’est retrouvé sur opération freestyle à l’époque, cela avait eu une bonne résonance : et ensuite j’ai fait un morceau avec Fabe (“Correspondance“): le feat sur l’album de Fabe, qui remonte à 10 ans (en 98), cela ne nous rajeuni pas, et ensuite j’ai fais un Ep avec Adil, qui était anciennement dans les Disciples (le morceau s’appelait : tourner en rond) : entre temps et parallèlement, j’ai fais plein de mix-tape, quelques unes avec Anfalsh (le collectif de Casey, Bjames et Prodige). J’ai sorti il y a 4-5 ans un premier maxi : qui s’appelait “matière première” et une face B : le masque du ravisseur et j’ai fais des apparitions sur l’album de la Rumeur (le dernier en date), et aujourd’hui j’arrive avec mon premier album solo : ” High tech et primitif”
D : peux tu nous expliquer ton Blaze, tout simplement ?
A : AL c’est le diminutif d’Alain, je ne voilais pas m’appeler super Mc, grand, méchant qui défonce tout, et je suis plutôt dans la sobriété au niveau de la forme : je fais du rap sans fioriture, j’aime bien même au niveau de la musique beat bass, boucle, je rap et voila.
D: peux tu nous parler de ton label : Matière Première ?
A : A la base c’était associatif, histoire de gratter des subventions, pour pouvoir sortir différents projets, après il fallait à un moment nous donner une vraie structure, une société pour pouvoir sortir l’album, même si quand on était en assoc c’était à but non lucratif, aujourd’hui cela ne veut pas dire qu’on espère faire un bénéfice de dingue, pour autant, mais cela simplifie les choses. Il y a des structures, des organismes avec lesquels tu ne peux pas vraiment travailler avec le statut associatif et on a donc du monter un label pour avancer tout simplement.
D: on va enchainer maintenant sur ton album : c’est ton premier album solo : celui-ci se nomme “High Tech et Primitif”, est ce que tu peux nous en expliquer le titre ?
A : Le titre en fait : le coté High Tech, c’est le coté rap, le coté réflexion surtout, parce que moi j’écris d’abord pour essayer de faire passer un message, et l’aspect primitif, c’est parce qu’il y a toujours le coup de gueule, et la colère dedans, l’instinct aussi.
D : Donc cet album doit normalement sortir le 20/10/2008, nous on a eu l’opportunité d’avoir 4 morceaux et on va essayer d’en parler. Le premier morceau que je te propose de développer c’est “Mes racines me guident” : c’est un morceau très personnel dans lequel tu te dévoile et qui a pour moi une très belle construction : et un cheminement de ta pensée, il y a une grande cohésion dans ce morceau : peux tu nous parler de celui ci ?
A : C’est un titre que j’ai écris il y a un bout de temps, et le refrain : c’est un scratch d’un morceau d’Ekoué (de son premier EP : le poison d’avril) et c’était pour écrire un petit peu et donner mon avis sur les différences : c’est une époque où j’étais revenu du Sénégal (j’y avais passé 2 mois et demi), et pendant presque dix ans je n’y vais pas été retourné, j’aillais tout le temps à New-York, et quand mon père est arrivé à la retraite, il est retourné au bled et donc de surcroit j’allais voir mes parents : et quand j’y suis allé cela m’a piqué et je me suis aperçu, j’avais déjà ce sentiment, mais j’ai encore plus ressenti le fait qu’on France on puisse être déraciné justement j’avais envie d’écrire là dessus. J’ai vu des choses là bas auxquelles j’ai grave adhéré : ici en France, en Occident en général, les gens communiquent que dans les trucs “bizarres” : les stades de foot, les boites de nuit, ce genre de choses, moi j’ai vu des jeunes musulmans : une 20aine de jeunes partir ensembles, pour aller à la mosquée, j’ai vu qu’on bloquait les routes, le vendredi les gens se mettaient à prier ensemble, j’ai vu que le soir on pouvait se réunir sans télévision, sans quoi que ce soit, juste être avec des amis, avec une théière, avec 3 verres, pas plus parce que s’il y a 10 verres chacun boit son verre et se barre, alors que là tu es obligé d’attendre qu’un finisse pour que ça tourne : et j’ai compris toutes ces choses là et comme ça m’a marqué, j’ai écrit ce morceau : pour évoquer mon attachement à la culture africaine qui fait partie de moi aussi : en plus de AL Mc en Occident.
D : Parlons maintenant du morceau High tech et primitif : tu commences ce morceau avec les mots suivants: “ils pensent savoir qui on est, mes punchlines tirent sur les clichés”, alors c’est un instru assez éléctro, assez futuriste, à mon avis pour amplifier l’impression de modernité, mais je t’avoue que je ne comprend pas exactement le message : peut tu nous simplifier celui (avant la réponse de AL en voici le clip (press play))
AL : je commence comme cela justement pour dire que l’on est beaucoup plus complexe qu’ils ne le pensent : l’autre fois j’ai entendu encore en regardant une émission sur la une où on parlait de Chatelet, là où nous sommes toi et moi, et ou il y avait de gentils policiers qui chassaient de méchants africains et arabes qui foutaient la merde et qui après s’occupaient gentillement des sdf du coins, qui étaient très protecteurs, on a juste cette image mine de rien, qui est toujours véhiculée à fond dans les médias, et c’est ancré dans l’inconscient général, cette image de barbares. Ca fait même bizarre de le dire : c’est loin d’être le cas : on peut aussi être primitif, mais comme chacun, comme tout le monde et on sait aussi être high tech : avoir ce coté peut être matérialiste et individualiste que la société occidentale peut inculquer à chacun et c’était ça. Dans ce morceau je mets en parallèle différents comportements : et c’est pour dire qu’on est beaucoup plus complexe : les gens essaient de nous mettre dans telle ou telle case, ou tel tiroir, mais non : chacun d’entre nous ici est déraciné, dans cette société, et cela ne peut être en définitive que compliqué : high tech et primitif.
D : On va enchainer sur un autre morceau : “Les frontières du béton” qui vient d’être clipé : tu parles de l’enfermement dans la cité, du quotidien des jeunes qui y habitent ; pour rentrer dans un débat, n’as tu pas peur d’être trop négatif, voir défaitiste à travers ce morceau : je sais que tu ne pousses pas forcément que ce coté là, mais n’as tu pas peur que les jeunes, parce qu’il y a aussi beaucoup de jeunes qui nous écoutent et nous lisent, que les jeunes n’y voient que le coté négatif/sombre ?
A : Ouais, mais moi franchement quand je regarde c’est vrai qu’en général je peux avoir un coté comme ça un peu fataliste, mais je t’avouerai que parallèlement j’entends beaucoup de rap dire ouais on peut, ouais si on veut … des choses très très optimistes, mais moi mon univers il est assez noir ,quand je discute avec mes potes en banlieue je sais qu’ils ont grave des reflèxes : ils sont supers programmés pour leur faire faire ce qu’on leur demande : en tant que jeunes banlieusards, ils ont à mort acceptés les frontières qu’on leur a imposé.
D : tu penses que les jeunes sont fatalistes, qu’ils se disent ok je suis là et je suis enfermé ici.
A : Sans même sans rendre compte : dans leur inconscient : ils sont persuadés que l’Ecole c’est pas pour eux, persuadé que tout ce qui peut être futile, tout ce qui peut être fondamentalement destructeur pour eux ils ne s’aperçoivent pas du danger : les frontières du béton comme je dis elles sont chez moi, mais elles sont aussi chez le gouvernement : elles sont aussi dans nos réflexes, dans nos habitudes, dans nos comportements. Comme je le dis aussi à un moment dans une rime : un jour j’étais en train de lire un bouquin, et un pote est rentré et il m’a dis « oh tu lis un livre toi ? » comme je dis dans « Perceptions », ouvrir un bouquin passe pour de la trahison : tellement on est persuadé que cela n’est pas pour nous genre de chose : c’est ça que j’ai voulu dénoncer. Quand je dis « en outre comme diversion tu vas courir après le pognon » on est tellement persuadé qu’il faut vivre au jour le jour sans regarder à long terme et faire de la maille le plus rapidement possible : voila personne ne se construit dans ce schéma.
D : Moi j’ai pu tu le sais interviewer Ekoué, et on a aussi pu échanger sur sa personne : et sur le fait qu’il ait pu faire de longue études et de se dégager avec Sciences Po Paris ce qui est plutôt bien, et tu vois moi à l’intérieur de ce morceau j’ai peur que cela soit trop trop négatif, ce que je peux comprendre, parce qu’au quotidien cela doit être dur …
A : oui mais c’est mon état d’esprit, mon humeur quand j’écris le morceau : les exemples comme Ekoué, ou comme Casey qui fait en ce moment des choses avec des rockeurs (NDR : avec le guitariste de Noir Désir) : ça c’est de la liberté d’esprit : ce sont des choses que les gens n’ont plus. Le fait qu’Ekoué veuille et réussisse à faire ce qu’il veut à Sciences Po est vraiment de la liberté d’esprit : c’est très très très rare ; j’ai de plus en plus l’impression que chacun s’enferme dans le schéma classique et que pour ouvrir les yeux aux mecs des cités cela devient dur.
Voici le clip “Les frontières du béton” : (clip est réalisé par Tcho) (press play)
D : AL, on va enchainer avec un morceau qui s’appelle « Chants traditionnels » tu commences avec « Je constate, j’écris je rappe, je fléchi, me redresse et frappe » tu y avoue aussi ta passion pour les rimes « cruelles », tu dis aussi le « le ghetto ma nation, le rap mon chant traditionnel » : tu y a un instru super lourde et puissante qui vient amplifier le morceau : c’est assez bizarre car tu y mélange encore beaucoup de choses ; comme d’autres rappeurs et des autres formes de rap que tu n’aimes pas ou que tu ne cautionnes pas : mais qu’as-tu justement voulu dire dans ce morceau ?
A : C’était pour écrire sur le rap ; et donner mon avis sur le pera, donner ma conception du rap et dire qu’en dépit du fait que 99% du rap francais j’ adhère pas, j’adore le rap et ceci sur toute la masse de rap qui existe, mais j’écoute beaucoup d’autres choses que le rap francais ou US : de la soul, de la musique Sénégalaise , de la musique spanish, ce genre de trucs et du rap ricain évidemment. En francais, j’écoute des choses moins connus comme un rappeur qui vient de Metz : Mysa : c’est un tueur, il a une écriture de ouf : un mec aussi que j’ai découvert qui s’appelle John Sadeek : un mec de Toulon : c’est un malade mental : il passe un message : par exemple au lieu de dire paix il dit guerre : j’aime aussi la Mixture à Strasbourg. En fait j’aime bien les écritures riches et je ne vais pas te mentir, mais je trouve que dans le rap français il y a des défauts. Sinon je kiffe Rocé depuis l’époque, enfin ce genre de choses. Moi le regret que j’ai c’est qu’il y a pleins de petits qui commencent le rap aujourd’hui et on leur met sous le nez des gros rappeurs hardcore qui disent ouais je braque, je deal, j’ai des putes et les petits prennent ca pour la norme. Nous quand on est arrivé on était plus ou moins agé quand même, on écoutait le top 50, et ce qu’il y avait au départ du rap : il y avait NTM, Assassin, il y avait IAM, à l’époque il n’y avait que du bon : il fallait aussi connaître le Hip Hop : maintenant c’est différent : c’est le rap : et voila : nous on est passé par là, peut être que cela nous a inculqué telle ou telle base, un substrat. Maintenant les petits boume ils commencent avec du tak tak tak, boum, et c’est regrettable : même quand tu leur mets un truc avec du fond et une certaines pensée : dès qu’ils ne reconnaissent pas directement à la première lecture : ce qu’ils voient d’habitude, ils sont perdu cela ne leur parlent pas : c’est pas du rap à la rigueur : il est ou le ter ter, elle est ou la bicrave …
D : C’est quoi ta vision du rap aujourd’hui : de l’industrie du disque justement : on est dans une période où l’industrie du disque ne va pas super bien : sortir un album n’est plus si simple, as tu conscience que c’est là peut-être ton dernier CD ?
A : Certes, mais je ne vais pas te mentir : j’ai fais mon disque pour faire de la scène : c’est mon kiff : c’est la vérité. Si tu prends un rappeur super connu et que tu lui soustrait les morceaux les tubes avec lesquelles des radios de merde ont lobotomisé le cerveau des gens et que tu mets en face de lui sur scène un rappeur inconnu qui a grave du talent, les gens vont faire la différence. La scène ne ment pas : c’est la vérité : c’est pour ca qu’aujourd’hui il y a pleins de mecs qui ont grave pignon sur rue, ils refusent des scènes, il ne vont pas sur scène, ou tu entends à la radio Elysée Montmartre, la Cigalle, et tu n’entends pas quand la date est annulée trois jours avant parce qu’il y a 10 préventes : c’est ça le truc en fait. La scène permet aussi de convaincre les gens, la performance, aller sur scène et faire passer un message. Je ne suis pas un rappeur de studio, je fais mon disque pour ca et la chance qu’on a : je ne sais pas si les gens le savent, mais La Rumeur, ce n’est pas le groupe le plus médiatisé, mais par rapport à des gens qui passent leur vie sur Skyrock, ou sur je ne sais pas quelle chaine de télé, c’est un groupe qui tourne 100 fois plus qu’eux : nous on a un vrai public : les gens viennent. Les petits qui écoutent tel ou tel rappeur hard core ne vont pas en concert, d’abord parce qu’ils n’ont pas toujours la maille déjà pour beaucoup et puis les scènes c’est pas ca : pour Urban Peace aujourd’hui, tu achètes une place on t’en donne une gratos : ca veut bien dire ce que cela veut dire : alors que des gens comme Casey : ses concerts sont pleins, elle n’arrête jamais de tourner : c’est par là que cela va passer. Aussi, que l’industrie du disque soit en crise : peut être que cela va rétablir un certain équilibre : on verra : après peut être que les meilleurs vont survivre : et que les plus authentiques et les plus intègres resteront. Justement cela permettra peut être de faire refaire vivre le hip hop et mettre un petit coup de pied dans le cul à l’industrie.
D : on est parti dans le détail de quelques morceaux de ton album mais peux tu justement en parler un peu plus, tant au niveau des featurings que des productions sonores ?
A : J’ai un titre avec Stef et Lubna qui sont des gens de Matière Première, des gens de chez moi à Dijon, un autre morceau avec Adil qui est un petit de mon quartier, qui a commencer le rap tout petit et que j’ai vu grandir, et non pas Adil des Disciples, c’est comme ca ils ont le même nom, j’ai ensuite un morceau avec Ekoué, et un morceau avec Casey, qui pour moi sont tous deux ce qui se fait de mieux dans le rap français : il ne faut pas avoir peur de le dire. Au niveau des prod il y a saxe avec qui je travaille depuis l’époque d’Adil… il y a Clément qui a fait les sons de chants traditionnels et de frontières du béton, et un morceau d’un mec qui s’appelle Nab qui lui fait de l’éléctro des trucs vraiment différents du rap (que l’on a rencontré avec qui on s’entend bien) : il m’a fait un morceau qui s’appelle “l’ange de la rue”.
D : AL, pour toi le rap c’est aussi une passion, derrière tu as un travail, peux tu nous parler justement de ton travail et de ta passion pour le HH ?
A : moi je taffe à coté, je suis salarié, je fais du rap je dirai en parallèle, parce que je kiffe, parce que de toute façon je ne peux pas faire que travailler, il faut aussi que tu essayes de t’épanouir dans ton trip à toi. Après, quand tu as la chance de t’épanouir dans ton taff, c’est bien aussi c’est clair, mais moi au contraire, il faut que je bosse à coté, pour que mon rap reste ancré dans la réalité : j’ai vu plein de mecs : déjà parce qu’il ne faut pas attendre vivre du rap : tu risques de devenir fou : tu risque de crever de faim, et c’est super chaud, en plus cela peut grave dénaturer la chose : tu vas commencer à le faire dans le but de payer tes factures, moi mon taff à coté, c’est la liberté de mon écriture : j’ai jamais attendu après le pera pour en vivre : j’en ai jamais vécu, demain je vais surement pas en vivre, ce n’est pas grave, je vais continuer à en faire. C’est là la liberté de mon art : ma vie ne dépend pas de lui, moi j’ai vu des mecs tellement attendre, après tu te mets dans des situations financières et économiques de ouf, il faut garder les pieds sur terre. Les petits qui veulent se lancer pour faire du rap, il faut d’abord aller à l’école, travailler à coté, et après rappe à coté, si ca marche tant mieux, mais moi déja j’ai remarqué une chose : à une époque je bossais à l’usine, et je faisais 6 mois au je bossais et 6 où je ne bossais pas : et quand j’étais à l’usine j’étais grave plus prolifique, et plus productif au niveau du rap que quand je glandais : j’avais grave la dalle : je terminais à 5 heures du matin
Voici ci dessous une petite vidéo live de AL : il y présente rapidement son projet (press play)
Plus d’informations sur le myspace : www.myspace.com/matierepremiere
Merci à Raaf et surtout à AL pour leur disponibilité. Peace – Dany aka Rastaiam. (Article rédigé à l’époque pour Streetblogger.fr)