Dany : Sat nous nous rencontrons aujourd’hui pour la sortie de ton album « DIASPORA » sortie le 15 février, ce que je te propose pour commencer et te mettre en confiance est un interview « Blaze » au travers des différentes lettres qui forment ton blaze et te propose de commencer avec la lettre : S comme Son.
Sat : Si je suis encore ici en 2010 c’est parce que je suis un amoureux de sons et pas uniquement de rap, je suis un amoureux de musique tout court. J’ai passé les deux dernières nuits a écouter du son toute la nuit et voila, cette nuit je pense que cela va encore recommencer. Je suis un amoureux de musique, un amoureux du bon son, c’est-à-dire au delà de ça, en plein débat sur le téléchargement, voila il faut rappeler que le téléchargement c’est du mp3 et que le mp3 c’est de la merde et que quand on aime vraiment la musique et bien on n’écoute pas que du mp3 (tout simplement).
D : on va enchainer avec la lettre A comme Amour.
S : Idem, l’amour que j’ai pour ma musique, c’est quelque chose de très très important, j’ai l’impression de devoir beaucoup à cette musique là, elle m’a beaucoup apporté en tant qu’homme et au delà de ça on peut élargir bien sur à l’amour que je peux avoir au fond de moi pour les miens, mes proches ma famille et je me suis rendu compte que depuis la naissance de mon fils j’ai déjà sorti trois albums et je crois que ni vu ni connu ça a été quelque chose qui m’a énormément boosté.
D : on va finir cet interview blaze avec la lettre T comme Travail.
S : Oui parce que on a beau être un amoureux de musique, on a beau avoir du talent pour certains, sans travail cela ne sert strictement à rien : je suis un éternel insatisfait, je travaille constamment, je me remets tout le temps en question et j’ ai conscience que le peut qu’on peut obtenir passe justement par le travail. Et quand je parle de travail, ce n’est pas uniquement par rapport à ma musique en terme d’écriture, c’est aussi ce qu’il y a autour, parce qu’aujourd’hui voila j’ai créé mon label, cela nécessite beaucoup de temps, beaucoup d’énergie, beaucoup de travail dans l’ombre pour pouvoir arriver à faire ce que je fais aujourd’hui donc : je suis un gros bosseur. Il ne faut pas être un feignant dans ce milieu là, sinon c’est perdu d’avance.
D : Le mot travail est une très bonne transition pour parler maintenant justement de ton label (Corner Street) et de ton implication dans la création et la sortie de ton album, la gestion, le fait qu’aujourd’hui tu t’auto produise : que tu fasses tout de A à Z, du label, la gestion, ta comptabilité, tes démarches, le fait de rencontrer des journalistes, de chopper les radios etc… raconte nous un peu cela
S : Déjà de tout temps je me suis toujours intéressé à tout l’envers du décor, c’est-à-dire tout ce que les gens ne voient pas forcément mais qui entoure le business de la musique donc je ne le découvre pas aujourd’hui. Je m’étais toujours dis que le jour où j’en aurai le besoin et que je me sentirai prêt, et quand j’ai eu l’idée de sortir ce disque là Diaspora je savais que pour pouvoir être vraiment libre, pour pouvoir faire ce que je voulais de A à Z, avoir la main mise sur ce projet, être là aux tenants et aux aboutissants, cela passait par la création de ce label. Et puis, en plein contexte de crise du marché du disque, je pense que le disque en soi est un support qui est destiné à disparaitre à terme : même les artistes en major je pense qu’il n’y en a plus que quelques uns qui vont réussir à survivre, à savoir les plus rentables, donc je ne voulais pas attendre que le bateau ai coulé pour me dire merde maintenant je suis dans l’eau qu’est ce que je vais faire. Je voulais sauter à l’eau avec une bouée, donc ma bouée c’est mon label, donc j’ai créé ce label il y a un an parce que voila j’avais ce projet aussi derrière la tête. Créer un label juste pour en créer un ne m’aurait servi à rien, donc là j’avais enfin un bon objectif en vue et je m’en suis senti capable. Après c’est vrai que cela demande beaucoup de temps et malheureusement tout le temps que je consacre à mon label c’est autant de temps que je ne consacre pas à faire de la musique : c’est le seul inconvénient. Après, bien sur on en tire des satisfactions personnelles, parce que voila au quotidien il y a énormément de démarches à faire : au début on ne s’y retrouve pas vraiment, il faut s’entourer de quelques personnes, notamment de juristes, d’avocats, de comptables, mais cela nécessite quand même de faire un travail en amont soi même : on ne peut pas non plus confier les clefs d’une boite à des gens qui sont justes là pour y mettre leur nez, donc je m’implique au maximum et eux je les prends justement juste en conseil, en gestion et à la limite là ou je sens que mes compétences s’arrêtent c’est là qu’ils prennent le relai, mais j’essaie vraiment de faire le maximum : parce que je prévoit aussi l’avenir, dans le sens ou je me dits que peut être va arriver un jour où, je n’aurait peut être plus l’envie de rapper, peut être que j’aurai le sentiment d’avoir tout dis, tout fait d’avoir fait le tour, que je n’aurai plus d’inspiration ou la force ou la rage de le faire, mais pour autant j’aimerai rester dans le domaine de la musique parce que c’est un domaine qui me tient à cœur et je me dit que tout ce que j’apprends aujourd’hui peut être que je pourrai en tirer profit pour la suite.
D : on va enchainer en rentrant dans ton album en commençant par le titre de ton album : Diaspora. Diaspora est une dispersion des membres d’une même communauté dans plusieurs pays : alors que là tu restes vraiment concentré sur Marseille : du coup pourquoi avoir utilisé ce mot Diaspora ?
S : je suis parti du constat simple : que la scène marseillaise il fut un temps a été une scène extrêmement soudée, extrêmement solidaire, unie, c’est d’ailleurs comme cela que nous avons tous réussis à s’imposer à la fin des années 90 avec justement l’union d’IAM, FF, 3eme Œil, Soul Swing, Carré Rouge, Venin, énormément de groupes qui marchaient ensembles, d’ailleurs on retrouvait constamment tout le monde sur les albums des uns et des autres, on faisaient, des concerts en commun, puis après avec le succès des uns et des autres, chacun a été amené à gérer sa carrière, et ensuite la vie fait en sorte que chacun vit sa vie, fais sa route, son chemin et on s’est un peu dispersé. Et le temps d’un disque justement, j’ai eu cette volonté de ramener un peu les troupes au bercail et de recréer cette diaspora marseillaise c’est-à-dire tous ces gens qui se sont un peu éparpillés, dispersés au fil du temps, mais qui pour autant contient à partager un lien fort les uns avec les autres, voila j’ai voulu recréer cela.
Au-delà de ça, je trouvais je le mot était beau, je trouvais que c’était un beau mot : diaspora, qui sonnait bien et un mot très méconnu : d’ailleurs très peu de gens connaissaient la définition de ce mot quand je leur disait que je comptais appeler l’album comme ça et j’aime bien aussi ce truc de me dire tient je vais appeler l’album comme cela, ca va interpeler du monde, les gens vont se demander pourquoi, cela va peut être inciter certains à ouvrir un dictionnaire, à savoir quelle est la signification de ce mot …
D : Cet album qui est clairement un projet fédérateur : tu va rassembler différents MC’s, que cela soit des MC’s dits anciens, de la « première génération » comme IAM avec Akhénaton, Shurik’N, ou encore Faf La Rage, des MC’s de la « génération intermédiaire », donc plutôt de ta génération, avec des gens comme Stone de Carré Rouge, et des plus jeunes comme Carpe Diem… comment t’es venue cette idée de t’adresser à toutes les générations on va dire du rap marseillais ?
S : Ça c’est fait instinctivement, cela n’a pas été calculé, c’est-à-dire que selon l’écoute d’un son cela me faisait penser à un artiste et des fois j’avais un thème ou une idée qui me faisait penser à un autre et cela c’est construit un peu comme ça. C’est vrai que je n’avais pas la volonté d’arriver avec un album avec un tracklisting « galactique », c’est-à-dire uniquement ramener des gars qui ont un gros nom, ou qui ont fait une grosse carrière : je voulais montrer l’étendue et la diversité du rap marseillais : que les gens ne connaissent pas forcément. Parce que la difficulté à Marseille pour beaucoup c’est de réussir à exister au-delà de grosses entité au-delà de grosses entités comme IAM, FF ou Psy4 de la rime qui ont vraiment, catalysé toute la lumière et toute l’attention sur eux moi qui suis un acteur de la scène marseillaise etr qui suis en contact avec beaucoup de gens et issus de diverses générations, je connaissait vraiment la diversité de cette scène là et je voulais qu’elle soit représenter : montrer l’étendue du rap marseillais dans toute sa largeur, avec bien sur la présence de pionner, car bien sur pour moi c’était inévitable d’avoir des gars comme AKH, FAF ou JO sur ce disque là, mais pour autant je voulais aussi mettre en avant la génération montante qui pour moi sont ceux qui vont prendre le relais et faire en sorte que Marseille continue à perdurer peut être le jour où nous nous mettrons plus en retrait et c’est surtout qu’ils apportent quelque chose de différent : quelque chose de nouveau. Quand j’invite Carpe Diem, c’est une autre école, une autre façon d’écrire, une autre façon de rapper, et ainsi de suite.
Donc je voulais mettre tous ces gens là sur le devant de la scène mais attention, ce n’est pas dans un esprit co-fraternel, je ne suis pas ce genre de mec qui invite des gars parce qu’il les trouve sympa ou parce que ce sont ses potes, loin de là : quand j’invite des gars c’est que j’estime qu’ils ont le niveau : et surtout parce que j’estimait qu’il y avait un titre à faire ensemble, un son et une thématique qui pouvait nous correspondre : je me suis vraiment posé comme un réalisateur sur ce disque : avant même de me positionner comme un artiste, c’est-à-dire que j’ai fait naitre le projet sur une feuille, et dans mon esprit avant même d’avoir solliciter les gens.
D : Le premier morceau dont on va parler est le morceau intitulé « dans mon barillet » qui est le premier morceau de ton album , qui est d’ailleurs le deuxième extrait que tu as choisi de faire tourner après « c’est plus que de la musique » : dans ce morceau il est étonnant de t’entendre justement passer sur du vocoder, on y reviendra peut être, pour moi c’est un morceau intéressant où tu te rappelles que le rap est surtout une musque, que c’est un partage, de Marseille à Montréal tu rappes ta ville, tu y parles de toi, c’est un morceau qui est quand même assez égotrip, qui est bien écrit avec la valeur du travail, tu dis justement que tu retrouves le reste des MC’s éparpillés, tu n’attends rien de l’humain et c’est quand même un peu paradoxale car derrière tu invites beaucoup d’artistes avec toi … je t’ai dis beaucoup beaucoup de choses, mais peux tu enchainer sur ce morceau « dans mon barillet » ?
S : C’est vrai que c’est un titre très égotrip, à la base parce que c’est quand même un aspect du rap que j’aime beaucoup, que j’ai beaucoup pratiqué, même si à la limite les gens n’ont pas retenu cette facette de moi en premier, on m’a beaucoup plus qualifié de rappeur conscient, sérieux alors que de tout temps j’ai de tout temps toujours pratiqué l’égotrip, dans ce titre la (dans mon barillet), il y a une phrase et tu l’a souligné toi-même, qui à mon sens résume bien le titre, l’album et peut être l’état d’esprit du rap en ce moment, à savoir « le rap c’est du bizz et des billets, mais avant tout c’est de la musique et beaucoup l’ont oublié ». C’est vrai que voila les années 2000 ont marquées quand même un changement de cap, dans le sens où les disques se sont bien vendus, des artistes ont gagnés beaucoup d’argent, donc on exposé leur argent, en on parlé et à la limite c’est pas un mail, mais forcément les générations qui ont suivies n’ont retenues que ça, ils ont vu les nanas, les voitures, le “bling bling”, la thune et c’est ce qui les as intéressé, et moi aujourd’hui‘hui qui fait beaucoup d’ateliers d’écritures, je me rend compte que beaucoup de gamins viennent au rap pour ça, et pas forcément par amour de la musique, chose qui était mon cas à l’époque dans le sens où il n’y avait aucun débouché à prévoir par rapport au rap si ce n’est la passion et le plaisir : alors après oui, je suis un peu dur, dans le titre quand je dis notamment « je retrouve le reste des MC’s éparpillés » parce que c’est une image parce que voila aujourd’hui beaucoup se la racontent, beaucoup friment, j’estime que beaucoup friment et se la raconte un peu pour rien. Ils n’ont encore rien fait, encore rien prouvé, et ils se positionnent déjà comme des numéros 1 : NON : il faut d’abord faire ses preuves, et après quand tu les as faites, tu peux peut être te permettre de te mettre en avant, c’est vrai que les voyages de Marseille à Montréal m’ont permis de me rendre compte que la musique n’a pas de frontière, n’a pas de barrières, elle n’a pas de limite et que souvent elle peut t’amener à te faire prendre conscience du fait que tu peux avoir plus de points commun avec une personne qui vit à l’autre bout du monde qu’avec ton voisin de pallier que tu connais depuis ta naissance et c’est ça le principe du Hip-Hop : c’est une communauté à la base : ce n’est plus ni moins que cela, qui permet de rassembler des gens peut importe de l’endroit où ils sont, peut importe leurs origines sociales, peut importe leurs origines culturelles ou religieuses : on s’en fout :c’est un amour pour une musique, une culture, pour des valeurs et c’est ça qui rassemble les gens. Donc j’ai voulu mettre un peu tout cela en avant dans ce titre là, même si c’est vrai que l’aspect égotrip est présent et que par moment il y a des phases très très incisives, c’est un un peu un préambule qui faisait comprendre que si par la suite dans tout le reste du disque j’arrive à être très fédérateur c’est parce que je suis parti de ce constat là, qu’aujourd’hui c’est un peu chacun pour soi, chacun sa merde, que tout le monde se fait la guerre, les biffs, les clashs, tout ça, alors qu’à la base ce n’est pas du tout ça et je parts de ce postulat et puis après tout le reste du disque est plus dans le fédérateur.
D : C’est bien Sat parce qu’à chaque fois tu me trouves mes transitions, j’allais justement passer sur le morceau « Plus que de la musique » qui est justement un morceau fédérateur avec trois générations qui se sont succédées avec le représentant d’IAM en la personne d’AKh, la génération de la FF avec toi SAT, et la génération des Psy4 avec Sopra, ce morceau est donc un morceau fédérateur, où tu réunis ces deux autres artistes et dans lequel tu dis que « représenter les tiens n’est pas une charge mais un honneur » et que plus que de la musique, on éduque et on instruit : pourquoi ce titre plus que de la musique ?
S : A la base j’ai imaginé la combinaison, c’est-à-dire que c’est un des titres pour lequel j’ai d’abord pensé à l’affiche, au tracklisting : parce qu’il me fallait un titre fédérateur, un titre socle , sur lequel je puisse me « reposer » pour ce disque là, et d’entrée je m’était dis tiens, quoi de plus fédérateur que de réunir trois membres de trois groupes qui ont marqués l’histoire du rap marseillais à tout jamais, et trois générations sur un seul et même titre. Une fois que les gars m’ont dit-on marche avec toi, restait à faire le plus dur à savoir trouver le son et écrire le titre. Trouver le son n’a pas été une mince affaire, parce que je voulais que cela soit vraiment un morceau hors du commun, j’ai mis très longtemps à trouver la prod, jusqu’à tel point que je pensais que je ne la trouverai jamais, et puis c’est quand je m’y attendait le moins que qu’elle a fait son apparition, je l’ai fait écouter à AKH et Sopra, qui ont vraiment kiffés et à partir de là ne restait plus qu’à trouver la thématique : il fallait quelque chose de fédérateur , qui nous rassemblent tous, et c’est là que m’est venue cette phrase très très simple, mais à la fois, lourde de sens : « c’est plus que de la musique » : dans le sens où pour les gens qui en font et pour ceux qui n’en font pas, mais qui en écoutent, on sait que cela va beaucoup plus loin que ca : c’est quelque chose qui nous accompagne au quotidien, c’est quelque chose qu’on a en nous, un style de vie, on ne peut pas s’en défaire : on ne fait qu’un avec cette musique la. Donc j’ai proposé le thème aux gars, ensuite restait à écrire et c’est vrai bon tu mets l’accent sur cette phrase, « représenter les tiens n’est pas une charge mais un honneur » parce que c’est vrai que par moment avoir la responsabilité de parler et que tu le veuille ou non, quand tu parles en ton propre nom, derrière il y a des gens qui vont être assimilés à ta parole, donc si tu le fais bien tant mieux, si tu le fait mal, cela peut aussi rejaillir sur eux, mais je ne voulait pas justement retenir ma musique pour ça, je voulait me dire (putain) j’ai la chance de le faire, il faut que je le fasse bien, que je me dise que c’est une chance, un don que l’on m’a donné et qu’aujourd’hui c’est à moi de le mettre à profit d’où le sens honneur. Pour ce qui est de l’éducation et de l’instruction c’est parce que je dis souvent que moi le rap cela m’a aidé à me construire, cela m’a aidé à trouver des réponses à des questions que je me suis longtemps posé dans mon adolescence, dans ma jeunesse, et questions auxquelles je ne trouvais pas de réponses, ni chez moi, ni en bas dans le quartier, ni à l’école et c’est grâce au rap que j’ai réussi à trouver ses réponses. Donc aujourd’hui je me rends compte avec les plus jeunes auxquels j’ai à faire, qu’ils sont très influençables et qu’ils écoutent et qu’ils prennent souvent au premier degré ce qu’ils entendent de certains rappeurs, donc je me dis qu’on a une mission qu’on le veuille ou non, on ne peut pas se cacher derrière le fait de dire on est juste des artistes, on fait de la musique : NON : au bout d’un moment il faut vraiment prendre conscience qu’il y a un public jeune qui nous écoute. D’où la notion d’éducation et d’instruction : parce que pour en revenir presque au titre dans mon barillet, on peut se plaindre d’une situation qu’on voudrait rejeter, on n’aime pas la dérive du rap, du milieu Hip-Hop, mais si on ne fait rien pour changer les choses, on ne pourra s’en prendre qu’à nous même donc au bout d’un moment c’est à nous d’éduquer et d’instruire.
D : On va enchainer avec le morceau « Diaspora », c’est un peu la définition de ton parcours, de si Dieu veut à ce jour, est ce que tu parles de ton rap, du rap, ou du rap marseillais, en fait à l’intérieur de ce morceau tu dis que tu es « HipHop, peace, unity love and having fun », c’est aussi un morceau très personnel, et au final peut être le morceau que je préfère de l’album : celui où tu te dévoile le plus.
S : c’est vrai que sur cet album là et au vue de la multiplicité des collaborations je ne pouvais pas énormément partir dans des thématiques très personnelles, très intimistes et très autobiographiques, il fallait toujours que je trouve des thèmes qui soient généralistes sur lesquels et l’invité et moi pourrions avoir des choses à dire. Voila et pour la petite histoire, Diaspora je l’ai enregistré à la toute fin, il y a un mois de ça, le disque était terminé, masterisé, et je m’en souvient c’était pendant les vacances de Noël, j’ai écouté cette musique là, j’ai été inspiré et je me suis dit merde, j’ai fait tout un album mais j’ai peut être oublié de faire un titre qui justement explique le pourquoi du comment de cet album et cela m’est venu très vite : je crois me souvenir que j’ai du l’écrire en peut être deux trois nuits, chaque nuit j’écrivais un couplet, c’est vrai que je me suis amusé à résumer mon parcours, cela m’a fait me rendre compte que voila ni vu ni connu, avec le temps qui passait je commençais quand même à avoir un beau parcours derrière moi, de Bad Boys de Marseille en 1995 jusqu’à Diaspora en 2010, cela fait quinze ans de parcours, 6 albums, aujourd’hui il n’y a pas beaucoup d’artistes de la scène rap française, qui peuvent se vanter avoir trois albums de groupes, trois albums solos et ce parcours derrière eux, donc j’avais envie de revenir sur tout cela ! Mais pas avec fierté, juste avec modestie, et me rappeler tout ça en citant les titres des albums, des phrases qui marquent assez bien mon parcours, et dedans j’y parle beaucoup de rap d’ailleurs, je pense que le rap et le HipHop, d’ailleurs c’était Salim qui me faisait m’en rendre compte, c’est vraiment l’axe principal de ce disque là, mon amour pour cette musique, mon dégout par moment, des fois je le regarde d’un œil critique sur un morceau et ensuite sur le morceau d’après je m’enflamme.
Et pour nous tous qui sommes dans ce milieu là on aime cette musique autant qu’on la déteste par moment : donc ce titre là c’est un peu tout cela. J’y parle de moi, j’y parle de mon rap, du rap marseillais en me posant la question est ce qu’il y a vraiment encore un rap marseillais, est ce qu’il y a encore une école de rap marseillais, ou est ce que finalement est ce qu’on fait du rap français comme les autres aujourd’hui? Et au delà de ça, le rap français d’aujourd’hui : où en est il ? Je me souviens qu’à une époque le rap français avait une vraiment une identité : est ce que le rap français a encore son identité, ou est ce qu’on est juste redevenu les petits frères des américains en se contentant de finalement refaire ce qu’ils ont fait la veille ? C’est un morceau pour essayer de résumer vraiment tout mon état d’esprit, et le fait de l’avoir écrit à la fin m’a permis de prendre du recul sur mon propre disque, et c’est pourquoi au niveau de la couleur je voulais que cela ne soit ni un morceau ni dur, ni sombre, ni agressif, mais un peu léger avec beaucoup de détachement.
[audio:http://www.opendrive.com/files/6146384_aUggI_5c94/sat%20hh4ever.mp3]
D : Sat, on va finir avec un dernier morceau : “sale époque”, je t’avoue que j’ai beaucoup aimé ce morceau par la prod qui est douce, belle et mélancolique, tu y dis que la vie laisse peu de place aux rêves et que c’est une époque difficile, tu dis néanmoins qu’il faut se prendre en main, essayer de se dépasser et malgré les difficultés, moi j’aime bien ce morceau parce qu’il est aussi très positif justement. A noter aussi que Mesrime derrière reprend le même thème que toi et tous les deux allez dans cette direction, peux tu compléter ce coté : c’est difficile, mais allons aussi de l’avant.
S : Je pense que c’est mon discours depuis 15 ans, c’est à dire que je n’ai jamais fait dans l’angélisme dans le sens où j’aime bien regarder la réalité en face et les choses pour ce qu’elles sont, cela serait se voiler la face que de dire qu’on ne traverse pas une époque difficile, c’était déjà le cas dans les années 90, et je pense que les années 2000 ont marquées encore un virage dans cette difficulté : c’est le règne de l’individualisme, du chacun pour soi, les temps sont de plus en plus durs, la vie est de plus en plus chère, et on le voit au quotidien, au sein de sa vie personnelle, et même les gens qui nous entourent, sans avoir même avoir besoin d’aller regarder les infos, les actualités et de voir ailleurs ce qui se passe dans le monde : donc je suis parti de ce constat là et pour autant, je refuse de faire dans l’angélisme, mais je refuse aussi de m’apitoyer sur mon sort et de justement prendre ça comme un fait établi de de tomber dans le fatalisme : et de dire bon bien voila c’est la merde, on est tous foutus ! Mais non, il faut se sortir les doigts du Cxx, aller de l’avant, il faut croire en quelque chose et surtout, quand on a des ambitions, il faut se donner les moyens d’y arriver. Donc voila, j’ai toujours essayé de faire reposer mon écriture sur cet équilibre un peu instable, de bien, de mal, mi ange, mi démon, capable du meilleur comme du pire, et c’est à mon image : cela dépasse le cadre de l’écriture : je suis comme cela dans la vie de tous les jours : une minute je peux voir le monde avec le mauvais coté des choses et la minute d’après je vais essayer de positiver tout ça, car au bout d’un moment, si on rentre dans la spirale négative, on ne s’en sort plus : on ne broie que du noir et cela est mauvais car a des répercussions sur les gens qui t’entourent au quotidien. Cela renvoit aussi à un autre titre de l’album : “la race des battants” avec Shurik’N et Said, qui est aussi un peu dans ce trip là avec une prod mélancolique, qui aurait pu être triste, et on aurait pu pleurer sur notre sort, alors que NON : c’est cette fameuse phrase : ce qui ne te détruit pas te rend plus fort : quand tu te casses la gueule, tu te relève! Et il faut mordre la poussière pour apprendre le gout, et il faut manger de la merde pour savoir quel gout cela a : au moins le jour ou tu goutes à quelque chose de bon, tu sais le reconnaitre. Il y a donc cette thématique là qui revient jusque dans le dernier titre de l’album : “rien ne doit m’arretêr” où finalement je parle de choses qui sont dures, mais à la fin voila, maintenant que tu as les cartes en main : qu’est ce que tu comptes faire de ta vie : est ce que tu vas t’arrêter aux premières difficultés ou est ce que tu vas aller de l’avant : moi j’ai choisi de défoncer les portes et de ne laisser aucune frontière, aucune barrière, aucune limite m’arreter : maintenant tant que j’en aurai la force : je ne suis pas un surhomme, j’ai mes moments de faiblesse comme tout le monde, mais après le tout c’est une fois que tu as touché le fond, et bien tu ne peux que remonter à la surface.
D : Ton avis sur le Hip-Hop aujourd’hui est compréhensible à travers tout ce que nous avons pu nous dire, néanmoins si je te dis “HIPHOP4ever” qu’est ce que ca t’évoque?
S : (rires) : Hier je faisais un interview avec un autre gars et il m’a dit “SAT, quand on parle avec toi, on dirait que c’est toi le Hip-Hop : on dirait que c’est toi qui a créé ce putain de truc là, car on sent que tu le vis, que tu le respires, que tu le transpires, et que cela te tiens à coeur…” et c’est un peu ça. C’est un peu ce que m’évoque HipHop4ever : dans le sens où je dis souvent que le jour où on a été piquer par ce virus, c’est fini, tu ne peux plus t’en défaire, c’est un truc que tu as en toi, tu vois, moi je suis d’une génération où je n’ai pas découvert uniquement le rap : quand j’ai découvert le rap en même temps j’ai découvert la dance, le break, les platines, j’ai découvert le graffiti, le beatboxing, j’ai découvert une culture, une facon de penser, j’ai découvert tout cela d’un coup : et cela a été un ras de marée, un tsunami pour moi et je me suis un peu essayé à tout avant de très vite me rendre compte que c’était l’écriture dans quoi je me retrouvais le plus alors que pour autant je reste un passionné : je tourne avec un dj, il y a des scratchs dans mon album (je dois peut être être un des derniers albums de rap francais dans lequel on entend encore des scratchs) : quand j’ai fais le clip “Plus que de la musique” j’ai demandé à des graffeurs de venir réaliser une sorte de “Hall of fame”, avec les portraits de AKH, Sopra et moi, j’ai fait venir des enfants qui breakent devant un gethoblaster pour montrer que c’est une culture qui se renouvelle, qui se régénère avec les générations qui arrivent, alors que beaucoup à l’époque disaient que cela ne durerait pas 5 ou 10 ans et on est encore là et cela a pris de l’ampleur. Je dis souvent que le jour où je déciderai d’arreter de rapper, quand je raccrocherai les gants ou le micro, c’est pas pour autant que je ne serai plus HipHop, je dis même souvent que les gens les plus hip-hop ne sont pas ceux forcément qui sont mis en avant, et qu’on voit, il y a surement des gens qui sont bien plus HipHop que moi, alors qu’ils en rappent pas, qu’ils ne font pas de sons, ils sont dans l’ombre : et souvent je me pose la question suivante : et si cela n’avait pas sourit pour moi, si je n’avais pas eu ce parcours, est ce que je serai autant passionné aujourd’hui et je rencontre des gens qui ont trente, quarante piges et qui sont des purs passionnés pour qui le rap et le HH n’ont jamais rapporté une thune, au contraire, cela leur a rapporté des galères, leur a couté des thunes, ils y ont laissé leur temps, leur argent, sacrifié la vie familiale, les amis, de l’énergie. Je parle en connaissance de cause : tout autour de moi, j’en ai beaucoup et quand je fais des concerts, je rencontre beaucoup de gens, beaucoup qui ont des sites, et qui s’investissent : et pourquoi ? parce que c’est leur vie : on a ça en nous : donc pour moi HIPHOP4EVER c’est ça!
D : Sat pour finir cet interview : le mot de la fin : lâche toi
S : Longue vie au Hip-Hop.
Merci à SAT pour ce bel échange, plein de passion et de Hip-Hop!! Pour moi aussi c’est HipHop4ever!
Tracklisting de l’album Diaspora